L’hypnose chez le dentiste

10 mars 2015 / Marie L’Hermet

Le bruit de la fraise vous tétanise ? Et si vous vous laissiez hypnotiser ? Cette méthode est de plus en plus utilisée pour atténuer l’anxiété des phobiques de la roulette, soulager leurs douleurs et réduire la prise de médicaments…

L'hypnose chez le dentiste pour atténuer l'anxiété chez le dentiste« Dormez, je le veux »… L’image classique de l’hypnotiseur de foire continue de hanter ceux qui viennent trouver Mardjian Amouzgar, dentiste hypnothérapeute parisienne. « La plupart s’imaginent que l’hypnose fonctionne comme une anesthésie générale. Ce qu’ils ne comprennent pas bien, c’est qu’ils garderont le contrôle et seront conscients durant les soins, mais qu’ils s’en ficheront parce qu’ils seront détendus ! » C’est en substance ce que raconte Marie-Josée, 49 ans : « Avant, j’étais constamment sur le qui-vive. Pas réellement phobique, mais dans un état de stress intense permanent. Deux jours avant mes séances, je prenais des anxiolytiques. Le bruit de la roulette m’angoissait. Sous hypnose, j’entends les bruits, mais plus faiblement et l’appréhension disparaît. En fait, je suis présente, je peux répondre quand le médecin me demande quelque chose mais je suis absente, comme perdue dans mes pensées. Je suis ailleurs ».

Les mauvais souvenirs neutralisés

Difficile à croire pour tous ceux d’entre nous qui ont peur du dentiste. Et n’ont que des mauvais souvenirs, remontant parfois à l’enfance, d’une carie douloureuse, d’une dévitalisation pénible, d’une anesthésie inefficace. Ce sont ces souvenirs qui se réactivent quand ils envisagent une visite chez le dentiste et qui les paralysent. On pourrait en rire, mais ce n’est pas drôle : nombreux sont ceux qui repoussent la prise d’un rendez-vous jusqu’à l’extrême limite de la souffrance, préférant affronter le lancinement plutôt que la peur, rendant les soins futurs plus longs, plus coûteux et encore plus douloureux. Pour tenter de remédier à cette réalité qu’ils affrontent quotidiennement, des praticiens dentaires se sont décidés, depuis quelques années, à utiliser l’hypnose éricksonienne (*).

Le dernier congrès de l’Association dentaire française en a témoigné : le nombre de dentistes hypnothérapeutes serait en hausse, même si aucun chiffre n’existe. Et celui des patients séduits, également. Comme Patricia, qui avait des nausées lors de la prise d’empreintes dentaires, Jacques qui avait des sueurs froides rien qu’à sentir l’odeur du cabinet ou tous ceux qui ont peur de la douleur, du fauteuil, de la piqûre ou du bruit des instruments. Le principe de l’hypnose est de désamorcer les chemins classiques qu’utilise notre cerveau pour réagir à un événement extérieur. Yves Halfon, psychologue clinicien et hypnothérapeute, formateur chez Hypnoteeth (lire ci-contre), confirme : « Sous hypnose, le cerveau reçoit les informations mais il ne réagit pas de la même façon à la douleur. On ne le leurre pas, on lui demande de répondre différemment, notamment par l’imaginaire. Le phobique, quand il vient chez le dentiste, a un scénario négatif dans la tête, souvent parce que cela s’est déjà mal passé pour lui. L’hypnose vient désancrer ce mauvais souvenir et ses conséquences sur le fonctionnement de son cerveau ». Plusieurs techniques existent. Certaines sont très simples, comme l’utilisation d’une voix douce et monocorde ; d’autres sont plus élaborées : suggestions directes d’analgésie qui provoquent l’engourdissement de la zone traitée ou suggestions de distanciation géographique et temporelle. Ainsi, on apprend au patient à se réfugier dans un lieu – imaginaire ou réel – où il va pouvoir ressentir sécurité et confiance. Ce simple exercice, associé à une technique de respiration profonde permet au corps de sécréter des endorphines qui, à elles seules, commencent à calmer le stress. Le chirurgien-dentiste Kenton Kayser explique : « Il existe plusieurs techniques d’hypnose, et c’est à nous de les utiliser en fonction du patient et de l’objectif de soin. On ne fait rien de spécial, on l’accompagne pour qu’il retrouve un chemin qu’il connaît déjà : celui des ressources qu’il détient en lui-même. Il n’y a là rien de magique ».

Marie L’Hermet

* Du nom du psychiatre américain Milton H. Erickson (1901-1980). L’hypnose éricksonienne est multiforme, non dirigiste, plus souple que l’hypnose classique. Ce qui permet de l’utiliser avec tout le monde alors que tous les patients ne sont pas réceptifs à l’approche traditionnelle.

En complément


Utile à chaque période de stress

La mise sous hypnose ne dérange en rien la séance de soins. Pour une simple appréhension, quelques minutes suffisent. Pour les phobies plus importantes, une ou plusieurs rencontres avec le praticien peuvent être entièrement consacrées à l’hypnose. Dans tous les cas, s’il existe une réelle volonté de dépasser le stress, il n’y a pas d’échec, assurent les spécialistes. « J’étais sceptique parce que je ne connaissais rien à cette méthode, témoigne Jacques, 39 ans. Mais ma peur devenait vraiment un handicap : je n’allais faire soigner mes dents qu’en dernière extrémité, et c’était toujours très pénible. Le dentiste m’a fait faire une séance d’hypnose, assis sur le fauteuil. Il m’a appris à fixer mon attention sur ma respiration, puis à rejoindre ce qu’il appelle mon “endroit ressource” en me concentrant sur le paysage que je voyais, ce que j’entendais, ce que j’éprouvais, combien je m’y sentais en tranquillité. La fois suivante, j’ai pu à nouveau contacter cet endroit sécurisant par la visualisation et le dentiste a pu commencer à me faire des soins sous anesthésie. Grâce à celle-ci, je n’avais pas mal. Et surtout, je n’avais plus cette crispation permanente sur le fauteuil. La troisième fois, il m’a soigné sans anesthésie. Je n’ai eu ni douleur, ni peur. Mieux, aujourd’hui, j’utilise mon “endroit ressource” pour m’aider à chaque période de stress. Ça marche ! » Le Dr Amouzgar remarque en effet qu’un certain nombre de phobies secondaires (peur de l’enfermement, des ascenseurs, de l’avion…) disparaissent souvent en même temps que celle du dentiste. Voire avant !

Les enfants aussi
Et sans limite d’âge : comme cette technique joue sur les ressources internes et l’imaginaire, l’hypnose fait des merveilles avec les enfants. Il suffit souvent de leur raconter une histoire pour qu’ils lâchent leur angoisse. «
Surtout, précise la thérapeute, on les coupe du stress parental. Emmener un petit enfant chez le dentiste en lui disant : “Tu vas voir, ça ne va pas faire mal“, c’est commencer à instiller en lui l’idée qu’éventuellement, c’est quelque chose qui pourrait lui faire mal. Déjà, son cerveau se met en mode “appréhension“. L’hypnose permet de “débrancher” ça. » M.H.

La cicatrisation accélérée
Au-delà du traitement de la peur, les effets scientifiquement prouvés de l’hypnose ne sont pas négligeables. Pendant les soins, celle-ci calme la sécrétion de salive : adieu le respirateur buccal bruyant et inconfortable. Le praticien peut également diminuer des deux-tiers la dose d’anesthésiant utilisée, pour la même efficacité. Mais ce n’est pas tout, car l’hypnose, en plaçant le corps dans un état de détente absolue, a des effets qui se poursuivent au-delà de la séance. Puisqu’il n’y a pas eu de traumatisme, les saignements sont moindres, la cicatrisation est accélérée et les prises d’antalgique post-soins sont diminuées, voire éliminées. L’hypnose dans le cabinet dentaire s’avère également efficace pour lutter contre des phénomènes autres que les phobies. Par exemple, un médecin peut induire l’arrêt de réflexes très invalidants pour les dents et les gencives : le bruxisme (grincement des dents) et le clenching (serrement des mâchoires).

Mieux-être partagé avec les praticiens
Or, à patients heureux, dentistes détendus, s’enthousiasme Claude Parodi, chirurgien-dentiste et hypnothérapeute : «
Bien sûr, c’est important pour le patient, mais n’oublions pas les praticiens! C’est très stressant de devoir accompagner, toute la journée, l’anxiété des autres. Nous, les dentistes, sommes inévitablement affectés par l’angoisse et la douleur de nos patients. Il y a énormément de burn-out dans notre métier. L’hypnose, c’est une vie professionnelle plus sereine pour nous. Donc plus disponible pour les patients. »


Où s’informer ?
Vous êtes patient. Vous pouvez trouver les coordonnées de dentistes qui utilisent l’hypnose sur des sites internet comme hypnose.fr ou encore hypnoses.com

Vous êtes praticien. Il existe plusieurs centres de formation à l’hypnose médicale, mais Hypnoteeth, initialement destiné aux chirurgiens-dentistes, s’est progressivement ouvert à tous les secteurs de santé nécessitant des gestes invasifs et un traitement spécifique de la douleur : gynécologie, proctologie ou soins infirmiers, par exemple.

H.M.


 

À lire :
« Le Grand Livre de l’hypnose », de Grégory Tosti. Gros ouvrage de référence avec : fondements historiques, mécanismes, protocoles et méthodes, initiation, témoignages, exercices… (Eyrolles, 2014).
« L’Hypnose qui soigne », de Jean-Marc Benhaiem, médecin qui a créé, en 2001, le premier diplôme universitaire d’hypnose médicale à la Pitié-Salpêtrière, à Paris (Éd. J.Lyon, 2010).

Source : © Le Télégramme – Plus d’information sur http://www.letelegramme.fr/mieux-vivre/l-hypnose-chez-le-dentiste-10-03-2015-10552860.php